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Aspects juridiques de la pratique d’aspiration d’un site web (19 février 2003)

La technique d’aspiration de site consiste, comme on l’a déjà précisé, à copier, partiellement ou entièrement le contenu d’un site, ainsi que des pages liées, sur le disque dur de l’ordinateur de l’utilisateur, afin de pouvoir y accéder hors connexion. Le site ainsi " aspiré " s’ouvre comme n’importe quel fichier sans attente ni risque de coupure de la connexion.

Il existe, en effet, des logiciels, tel que Mémoweb, qui permettent de récupérer les images, les sons, de préserver les liens entre les pages, et offrent de multiples capacités de traitement supplémentaires (mise à jour automatique des sites et des changements éventuels, comparaison périodique de pages…).

Il est vrai que l’aspiration des sites a suscité des multiples interrogations quant à sa légitimité face au droit d’auteur. D’autant plus que, comme on va le voir par la suite, les réponses données par l’application du droit de la propriété intellectuelle peuvent varier selon la catégorie à la quelle l’œuvre en cause s’attache.

I. L’aspiration de site face aux droits de propriété intellectuelle

a. La protection des droits d’auteur du créateur du site

L’auteur d’un œuvre bénéficie d’une protection élevée en France et en Europe en application des droits qui lui sont conférés par le CPI, ainsi que par la directive CE 2001/29 du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information.

La jurisprudence française considère, depuis un jugement du Tribunal de commerce de Paris du 9 février 1998, que le contenu des pages web est protégeable au titre des droits d’auteurs. Pour cela, il faut que les critères posés par le CPI - création originale, fixée sur un support- soient remplis. Ainsi, l’art. L.122-4 du CPI dispose que « Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droits au ayants cause est illicite » et elle est donc punie à titre de contrefaçon.

Or, l’interdiction de la reproduction intégrale ou partielle de l’œuvre, faite sans le consentement de son auteur ne comprend pas, selon l’article 122-5 2° du CPI, « les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective ».
Ceci dit, l’aspiration d’un site peut parfaitement être considérée comme l’exercice par l’utilisateur de son droit de copie privée d’une œuvre déjà divulguée. En d’autres termes, la légitimité de la technique d’aspiration d’un site, face au droit d’auteur qu’on présume applicable, dépend, comme c’est le cas pour tous les œuvres de l’esprit bénéficiant de la protection par ce dernier, de l’utilisation qu’en est faite. Ainsi, la projection d’un site aspiré devant un publique serait, sans doute, considérée comme une utilisation collective de l’œuvre et serait, donc, interdite, à moins que le titulaire des droits n’ait pas donné préalablement son accord.

b. La protection des bases de données

Selon l’article L.341-1 du CPI « Le producteur d’une base de données, entendu comme la personne qui prend l’initiative et assure le risque des investissements correspondants, bénéficie d’une protection du contenu de la base lorsque la constitution, la vérification ou la présentation de celui-ci atteste d’un investissement financier, matériel ou humain, substantiel. Cette protection est indépendante et s’exerce sans préjudice de cesses résultant du droit d’auteur ou d’un autre droit sur la base de données ou un de ses éléments constitutifs ».

Le producteur d’une base de données a le droit d’interdire l’extraction, par transfert permanent ou temporaire, de la totalité ou d’une partie qualitativement ou quantitativement substantielle du contenu d’une base de données sur un autre support, ainsi que la réutilisation, par la mise à la disposition du public de ceci (art. L. 342-1 CPI).
L’article 122-4 du CPI exclue le droit de copie privée pour les « copies et reproductions d’une base de données électronique ».

Il reste à savoir ce qu’on l’en entend comme base de données. A cet égard, l’article L. 112-3 du CPI dispose qu’ « on entend par base de données un recueil d’œuvres, de données ou d’autres éléments indépendants, disposés de manière systématique ou méthodique, et individuellement accessibles par des moyens électroniques ou par tout moyen ».
Or, si certains sites web peuvent être considérés comme des bases de données, la majorité d’entre eux ne le sont pas. La raison est qu’ils ne répondent pas à la définition de « recueil d’œuvres, de données ou d’autres éléments indépendants, disposés de manière systématique ou méthodique ».

En effet, si un site de compilation de données (un annuaire en ligne par exemple ou un site portail) constitue certainement une base de données, un site classique (site commercial) ne semble pas pour autant pouvoir revêtir cette qualification ; dans le cas de ce dernier, l’assemblage d’images, de sons et de textes n’a rien ni d’une disposition systématique, ni d’un recueil de données.

Qu’en est-il, pourtant, des sites commerciaux qui constituent et mettent à jour en permanence des bases des données sur leurs clients ou des sites qui proposent des modes de recherche, nécessitant le passage par une ou plusieurs bases de données ? Dans ces cas très fréquents, il faut considérer que l’objet de la protection c’est non pas le site entier, qui ne présente, par ailleurs, aucune structure systématique et méthodique, mais seulement la base elle-même. Cette dernière, d’ailleurs, n’est pas visible pas les internautes et par conséquent elle ne peut pas être aspirée. L’accès à une telle base constituerait l’infraction, décrite ci-dessus, d’accès et maintien dans un système de traitement automatisé de données.

II. L’aspiration d’un site peut-elle être considérée comme une intrusion dans un système informatique ?

Pour que l’aspiration d’un site puisse être sanctionnée au titre de l’article 323-1 du Code pénal, il faut, avant tout, qu’il y ait eu intrusion dans un système informatique au sens de ce même article. Or, il n’y a intrusion que si la pénétration dans le système informatique en cause a été effectuée de manière irrégulière par une personne non-autorisée. Comme le montre la décision récente de la Cour d’appel de Paris précitée , il ne suffit pas que la personne acteur de l’intrusion n’avait pas le droit d’accès dans le système, mais encore faut-il qu’il en ait forcé l’accès, en utilisant une méthode particulière et non pas un simple navigateur.

L’aspiration d’un site s’effectue bien sur avec des logiciels spéciaux. En plus, dans la plus part de cas, l’utilisateur ne demande pas l’autorisation préalable du créateur du site. Or, l’accès à ce dernier n’est nullement forcé !

Enfin, si des dégâts au contenu ou au système du site ont été causés, le préjudice pourra être réparé sur le fondement de la responsabilité civile délictuelle, à la condition, toutefois, de rapporter la preuve du lien de causalité entre l’aspiration et le dommage.

L’aspiration d’un site n’est rien d’autre qu’un téléchargement simultané de tous les éléments d’une page ou d’un site web. Mis à part l’hypothèse où le site puisse être considéré en lui-même comme une base de données et supposant que l’accès à celui-ci est libre, rien a priori ne semble s’opposer à son aspiration pour des fins privés.