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La defense de la marque victime de position squatting : Partie 1 (26 décembre 2002)

La marque contre l’outil de recherche

La marque contre l’outil de recherche

> L’inapplicabilité du régime des prestataires techniques

Il ne semble pas que les règles régissant la responsabilité des opérateurs techniques puissent s’appliquer aux prestataires de positionnement payant, il conviendra donc d’adopter un régime de responsabilité de droit commun.

La responsabilité des fournisseurs d’OR n’est traitée ni dans la proposition de Directive " Commerce Électronique ", ni dans la loi du 1° août 2000 (1) concernant les intermédiaires de l’Internet. Cette loi dispose :

" Les personnes physiques ou morales qui assurent, à titre gratuit ou onéreux, le stockage direct et permanent pour mise à disposition du public de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature accessibles part ces services ne sont pénalement ou civilement responsables du fait du contenu de ces services que si, ayant été saisies par une autorité judiciaire, elles n’ont pas agi promptement pour empêcher l’accès à ce contenu. "

Cependant, certains auteurs estiment qu’en tant qu’intermédiaires techniques, ils devraient bénéficier du régime des prestataires de service d’hébergement. En effet, les moteurs de recherches utilisent des robots qui référencent les sites et n’ont pas de pouvoir de contrôle a priori des sites vers lesquels ils lient dans leurs résultats. Ils ne devraient donc voir leur responsabilité engagée que dans le cas ou, ayant connaissance de l’illicéité du site auquel ils proposent l’accès, ils n’ont pas agit promptement. Ainsi, le TGI (2) de Paris n’a pas retenu la responsabilité du moteur de recherche AltaVista car il avait retiré le site qui portait atteinte aux droits de la personnalité de M. Delanoë dès qu’il en avait eu connaissance.

L’OR qui propose un service de positionnement payant n’est pas un intermédiaire technique : c’est un support de publicité qui vend son espace. En effet, il ne se contente pas de mettre en marche un robot mais propose à certains sites d’être placés en tête des résultats des recherches. La responsabilité des supports de publicité n’étant pas un régime spécial, il faudra leur appliquer un régime de responsabilité tirée du droit commun.

> La responsabilité pénale des prestataires de positionnement payant (3)

En matière pénale, l’engagement de la responsabilité requiert un élément matériel et un élément intentionnel. En cas de contrefaçon, il semble difficile de considérer l’OR comme auteur de l’infraction, et présumer sa mauvaise foi, car la contrefaçon par fourniture de moyens n’existe pas en droit des marques, à la différence du droit des brevets. D’autre part, on ne peut estimer que l’OR est responsable par principe d’avoir " vendu " une position sur une marque à une personne différente du titulaire cette marque.

En effet, il ne peut connaître les titulaires des marques du monde entier (prenons Orange, il semblerait absurde d’engager la responsabilité pénale de l’OR pour avoir vendu une position sur ce mot clé à d’autres personnes que les titulaires de la marque) et précise dans les clauses du contrat le liant au positionné que ce dernier s’engage à ne porter atteinte aux droits des tiers. En revanche, le prestataire de positionnement payant sera condamné pour complicité de contrefaçon s’il a " sciemment, par aide ou assistance, facilité la préparation ou la consommation du délit " (4).

Une procédure d’" ad review " est prévue dans les OR vendant des positions. Elle consiste à examiner le site et son rapport avec le mot clé requis avant de le positionner. Lorsqu’il ressort de manière évidente de l’examen du site qu’il n’est pas en droit d’utiliser la marque correspondant au mot clé sujet à positionnement, l’OR sera donc complice de contrefaçon. Il en sera de même lorsqu’ayant été prévenu par le titulaire de la marque de la contrefaçon, il n’a pas " dépositionné " le site coupable.

D’autre part, en cas d’allégation de publicité trompeuse, le support peut être considéré comme annonceur et donc coauteur de l’infraction lorsqu’il retire un profit de la publicité. Dans une affaire ou American Express, qui diffuse auprès de ses adhérents un " répertoire " servant de catalogue de produits offerts à la vente, était poursuivi pour publicité fausse ou de nature à induire en erreur, le prévenu avait soutenu qu’il n’avait pas la qualité d’annonceur mais de simple support.

Le catalogue, en effet, vantait des produits vendus par des tiers pour le compte de qui la publicité était diffusée. Mais cette prétention a été rejetée dès lors que le prévenu était effectivement intéressé aux ventes, sur lesquelles il percevait une commission.(5)

Le prestataire de positionnement payant étant directement intéressé au nombre de visites du site avec la technique du " Pay for Placement " il serait possible d’engager sa responsabilité sur ce fondement. De toute façon, il sera considéré comme complice si l’élément moral est démontré. Cet élément moral pourrait bien résider dans le fait de n’avoir pas bien séparé les résultats " payés " des résultats objectifs.

Enfin, il semble qu’au cas où l’OR ne distingue pas clairement les résultats obtenus et les annonces, si le site positionné n’a aucun rapport avec la marque correspondant au mot clé recherché, l’OR sera non seulement coupable de publicité clandestine mais aussi du délit de substitution de produits, visé à l’article L.716-10 du Code de la propriété intellectuelle selon lequel sera puni des peines prévues à l’article précédent quiconque aura sciemment livré un produit ou un service autre que celui qui lui aura été demandé sous une marque enregistrée, s’il a connaissance du caractère contrefaisant du site positionné.

En matière pénale, dans tous les cas, il faudra donc prouver que l’OR a commis une faute pour engager sa responsabilité du fait de la contrefaçon par le site positionné.

> Vers une responsabilité " pour risque " des prestataires de positionnement payant ?

En général, dans ce type de contrefaçon, le titulaire de la marque n’intentera pas une action pénale contre l’OR, mais une action en responsabilité civile contre l’OR et le positionné, in solidum. L’OR pourra ensuite se retourner contre le positionné par une action en garantie (6). Du reste, on peut se poser la question de la teneur de la responsabilité de l’OR.

L’application de l’article 1382 qui soumet la réparation du dommage à l’existence d’une faute n’est pas très satisfaisante dans la mesure où la faute de l’OR sera difficile à démontrer, à moins qu’on considère qu’elle soit constituée par sa négligence. Dans ce cas, les marques notoires pourront être indemnisées car le prestataire de positionnement support qui procède à l’examen des sites annonceurs pourra déterminer si le positionné est en droit d’utiliser la marque.

Par contre, si la marque est moins connue, le prestataire de positionnement pourrait facilement s’exonérer en alléguant qu’il ne pouvait avoir connaissance de l’existence de la marque, ou que selon l’apparence, le site positionné était en droit de l’utiliser.

Il serait satisfaisant de retenir une responsabilité " pour risque " (7) de l’OR (8) du fait qu’il tire profit de l’exploitation de la marque par le site positionné en touchant une commission.

Il ne serait pas choquant que les juges, qui affirment depuis longtemps leur rôle créateur en matière de responsabilité civile, retiennent une responsabilité du prestataire de positionnement payant fondée sur l’article 1384 du Code civil et l’idée d’association à l’activité d’autrui et de profit tiré de l’activité d’autrui.

Ceci permettrait à la marque victime de position squatting d’être indemnisée pour le préjudice de perte de clients, de visiteurs ou d’atteinte à l’image de marque du fait de l’apparition du squatter dans les résultats correspondant aux recherches des internautes sur cette marque.

La marque victime de position squatting devra dans un premier temps sommer le squatter de se retirer, puis demander à l’OR d’ôter le squatter des listes de résultats. Dans la plupart des cas, les prestataires de positionnement payant font preuve de " fair play " et font droit aux demandes de titulaires de marques attaquées. Cependant, si aucun des deux n’obtempère, il conviendra d’intenter une action en justice.

Jean ANDRE
jean.andre@droit-multimedia.org

1 Loi du 1 août 2000 modifiant l’article 43-8 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 : disponible sur Foruminternet.org, <http://www.foruminternet.org/documents/lois/lire.phtml?id=22>.

2 TGI Paris, ref., 31 juillet 2000, M. Bertrand D. c/ Sté AltaVista Company et autres : disponible sur Juriscom.net, <http://www.juriscom.net/txt/jurisfr/cti/tgiparis20000731.htm>.

3 l’application d’un régime de responsabilité " en cascade " étant presque unanimement rejeté par la doctrine, on n’en traitera pas dans cette étude. Voir notamment Michel Vivant, Lamy Droit Informatique et des réseaux, n° 2731 ; Jérôme Giusti et Guillaume Desgens Pasanau, " La Guerre contre les moteurs de recherche aura-t-elle lieu ?", Expertises, février 2001, p. 70 ; André Lucas, Jean Devèze et Jean Frayssinet, Droit de l’informatique et de l’internet, PUF, novembre 2001, n° 702.

4 article 121-7 alinéa 1 du Nouveau Code pénal, disponible sur Foruminternet.org, <http://www.foruminternet.org/documents/codes/lire.phtml?id=49#121-7>.

5 Cass. crim., 30 mai 1989 : D.1990, somm., p. 359 in Roger Bout, Lamy Droit Economique, ed. 2001, n°2855.

6 Les contrats liant les prestataires de positionnement et les sites positionnés prévoient une clause de garantie selon laquelle le positionné s’engage à respecter les droits des tiers.

7 La doctrine de la fin du XIXème siècle (Labbé, Saleilles, Josserand) a proposé la théorie du risque-profit, selon laquelle celui qui tire profit d’une activité doit en supporter les charges, ce qui englobe l’indemnisation des dommages qu’elle provoque.

8 En ce sens, André Lucas, Jean Devèze et Jean Frayssinet, Droit de l’informatique et de l’Internet, PUF, novembre 2001, n° 704.