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L’affaire Yahoo.com : un précédent judiciaire de filtrage du web  (26 décembre 2002)

Par décision du 22/05/00, le Tribunal de Grande Instance de PARIS a ordonné à Yahoo Inc "de prendre toutes les mesures de nature à dissuader et à rendre impossible sur [Yahoo.com] toute consultation de service de ventes aux enchères d’objets nazis et de tout autre site ou service qui constitue une apologie du nazisme et une contestation de crimes nazis".

Yahoo Inc doit le 24/07 présenter une solution technique suffisamment fiable pour répondre à ces exigences. A défaut, Yahoo Inc sera condamné à d’autres sanctions.
Cette décision résulte d’une action en justice intentée par la LICRA (Ligue Internationale contre le Racisme et l’Antisémitisme) et l’UEJF (Union des Etudiants Juifs de France) à l’encontre de Yahoo.Inc pour le site [Yahoo.com] et Yahoo France pour le site [Yahoo.fr].

Il était reproché à Yahoo Inc son service de vente aux enchères qui a proposé à la vente des objets nazis.
Il était reproché à Yahoo France de pointer par un lien vers Yahoo Inc et donc permet ainsi de visualiser ses pages.
L’article R 645 - 1 du Nouveau Code Pénal condamne toute exhibition d’objet nazis.

I - La compétence de la loi française

Le juge s’est dans un premier temps reconnu compétent pour statuer en vertu de l’application de l’article 46 du NCPC.Le site en cause est un site hébergé aux Etats-Unis, détenu et exploité par une société américaine et ne s’adressant pas prioritaire à une cible française. Le site est exclusivement en anglais.

Les faits reprochés à Yahoo Inc sont sur le territoire américain protégé par le Premier Amendement de la Constitution Américaine qui institue une notion très large de la liberté d’expression.

L’article 46 du nouveau code de procédure civile permet de poursuivre en France si le dommage se produit en France.
En l’espèce, le juge a constaté que l’internaute français pouvait appeler le site de vente aux enchères incriminé de France et donc en conclut que le dommage aurait lieu en France, ce qui rendait la loi française compétente.

II - Les mesures prononcées

II.1 Yahoo Inc

Yahoo Inc doit prendre toutes mesures de nature à dissuader et à rendre impossible toute consultation par un internaute appelant de la France des sites et services litigieux dont le titre et/ou le contenu portent atteinte à l’ordre public interne, spécialement le site de vente d’objets nazis.

Le juge a rejeté l’argumentation de Yahoo Inc tentant à considérer qu’instituer un blocage en fonction de l’origine géographique était impossible.

Le jugement fait notamment mention du numéro d’adresse IP qui permet d’identifier la provenance géographique de l’internaute.

Quant aux surfeurs anonymes, le juge suggère de leur refuser systématiquement l’accès au site.

II.2 Yahoo France

Il était reproché à Yahoo France le lien sur son site "Poursuite de la recherche sur "Yahoo.com".
Le juge demande à Yahoo France de mettre en place un message d’avertissement à l’internaute avant que celui-ci poursuive sa recherche sur Yahoo.com dès lors que les résultats de sa recherche l’amèneraient à pointer vers un site à contenu illicite au regard de la loi française.

Ce message doit inciter l’internaute à interrompre sa consultation du site.

Le débat fait rage sur cette décision pour savoir si techniquement une mesure de blocage d’un site en fonction de la provenance géographique de l’internaute est possible.
Le juge américain a déjà rendu une décision reprenant cette solution pour un nom de domaine italien, légitime en Italie mais portant atteinte aux droits de la société Plaiboy sur le territoire américain (Affaire Palyment.it).

L’AFA (Association des Fournisseurs d’accès) et IRIS considèrent que la solution technique est impossible à mettre en place.

Néanmoins, les adresses IP, la langue des navigateurs, les noms de domaines, les FAI ne sont-ils pas des indices qui pourraient permettre une telle identification ?
L’internaute français surfant sur les sites américains se voit souvent proposer des publicités en Français qui vont au-delà de la simple coïncidence.

Toutefois en l’absence de convention internationale, si les mesures à proposer par Yahoo ne sont pas satisfaisantes, la décision française devra être soumise à la procédure d’exequatur, ce qui revient à faire accepter cette décision par le ministère public américain…Cela suppose en effet que le représentant du ministère public local (aux USA) accepte la décision.

La partie n’est pas aisée. La presse américaine titrait en effet cette affaire de "dangereux précédent", "bombe sur le web", de "gag".

Début mai, [Nart.com] (site de ventes aux enchères d’œuvres d’art) a été condamnée par une autre juridiction française pour infraction à la législation française de vente aux enchères alors que le site opère à partir des Etats-Unis.

A moyen et long terme, il est difficile d’imaginer qu’un pays impose unilatéralement ses valeurs en demandant aux sites étrangers opérant depuis l’étranger de respecter le droit interne national. Il semble préférable de privilégier les critères classiques.

Le droit international privé qui exige un lien de rattachement suffisant avec le droit national en cause.

A défaut, cela reviendrait à interdire les sites de vins français vers des pays musulmans, des sites de présentation de vêtements féminins…

D’autres solutions se dessinent dans les notions de verbes actives ou passives (avec ou sans contact direct auprès de l’internaute ou off-line dans son pays de résidence).
Nul doute que cette affaire a le mérite de poser les bonnes questions.

Réalisé en collaboration avec Blandine Poidevin de Jurisexpert.
"ces articles n’engagent que les auteurs et ne sauraient se substituer à une
consultation juridique"