La vente liée, traditionnellement, était systématiquement présumée illicite en France. Sous l’influence du droit de l’Union européenne, la loi du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit a modifié l’article L122-1 du code de la consommation pour assouplir le régime de la vente liée. Si elle est désormais autorisée par principe, la pratique pose encore quelques questions quant à son application aux nouvelles technologies et à Internet. Microsoft a ainsi été récemment sanctionné par la Commission européenne pour ne pas avoir respecté une première sanction relative à la vente liée d’Internet Explorer et Windows.
Le premier alinéa de l’article L122-1 du code de la consommation définit et interdit la vente liée selon certaines conditions : « il est interdit de refuser à un consommateur la vente d’un produit ou la prestation d’un service, sauf motif légitime, et de subordonner la vente d’un produit à l’achat d’une quantité imposée ou à l’achat concomitant d’un autre produit ou d’un autre service ainsi que de subordonner la prestation d’un service à celle d’un autre service ou à l’achat d’un produit dès lors que cette subordination constitue une pratique commerciale déloyale au sens de l’article L. 120-1 ».
Cette dernière notion est définie par le code de la consommation à l’article L120-1 comme une pratique « contraire aux exigences de la diligence professionnelle et qu’elle altère, ou est susceptible d’altérer de manière substantielle, le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l’égard d’un bien ou d’un service ». En résumé, le fait pour un commerçant de subordonner la vente d’un produit à celle d’un autre ou à une quantité importante est interdit à la double condition qu’il soit contraire à la diligence professionnelle et qu’il modifie au moins substantiellement le comportement économique de l’acheteur.
En pratique, les nouvelles technologies imposent fréquemment des ventes liées, comme dans le cas de Microsoft. En l’espèce, il était reproché au géant américain de ne pas offrir à ses usagers le choix du navigateur, qui est celui de Microsoft par défaut, pas que le choix du système d’exploitation. Microsoft s’était pourtant engagé en 2009 auprès de la Commission à proposer cette possibilité à ses clients. Cette affaire pourrait dès lors faire jurisprudence dans la mesure où cette situation est assez commune aujourd’hui pour bien des acteurs des nouvelles technologies.
Pour autant, la question se pose de savoir s’il ne s’agit pas là d’un système plus stricte que celui prévu pour le commerce en général. Si la réponse est positive, un régime juridique parallèle sensiblement différent verrait le jour pour les nouvelles technologies.
I - Les évolutions possibles
A - Une nouvelle articulation entre vente par lots et vente liée
L’amendement à venir ajouterait un article 113-7 dans le code de la consommation relatif aux prix et aux conditions de vente. Il introduirait notamment une nouvelle qualification en droit de la vente par lot de matériel informatique, qui deviendrait une vente liée. Cette conception existe évidemment déjà dans la jurisprudence qui considère depuis plusieurs années déjà que la vente d’un matériel informatique déjà équipé en logiciels, notamment les logiciels d’exploitation, est effectivement une vente liée. Il fallait toutefois apporter la preuve systématiquement que les deux éléments pouvaient effectivement être distingués, afin de pouvoir qualifier la vente liée.
Si l’amendement est adopté, la vente liée en termes de technologies de l’information prendra un nouvel essor puisqu’elle sera finalement systématique. Pour autant ne sera-t-elle pas automatiquement condamnable, la vente liée n’étant pas automatiquement sanctionnée. Il faudra toujours que « le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé » soit altéré par la pratique. Les traits principaux du mécanisme ne sont pas remis en question ici, il faut surtout y voir un élargissement qui serait en même temps mieux encadré.
B - Un principe de transparence imposé au vendeur
Le nouvel article que propose l’amendement impose au vendeur de détailler certaines caractéristiques des produits mis en vente. Ainsi, si le matériel proposé est équipé au préalable de logiciels, le vendeur doit préciser la possibilité de les vendre séparément. Il devra également mentionner quels sont les différents éléments composant l’offre, c’est-à-dire dresser précisément la listes des éléments vendus avec le matériel. L’article signe ainsi la fin de ventes liées par lot en termes de technologies de l’information : il deviendrait dès lors possible de trouver des ordinateurs absolument vierges de système d’exploitation ou de navigateur etc. L’article ne fait d’ailleurs pas de distinction que la vente ait lieu par Internet ou physiquement, c’est un régime général.
Cette disposition devrait avoir pour effet de rendre optionnelle la vente de ces logiciels complémentaires puisque l’affichage en dresse la liste avec leur prix individuel. En cela l’article suivrait la jurisprudence. En effet, les juges, lorsqu’ils reconnaissent l’existence d’une vente liée préjudiciable pour un consommateur, condamnent le vendeur à rembourser les sommes relatives aux logiciels imposés. La proposition d’article impose également finalement que le détail des prix apparaisse également sur la facture fournie au client.
II - Une double inspiration du droit de l’Union européenne et de la jurisprudence
A - Un droit issu de la jurisprudence
Pour la Cour de cassation, en matière de nouvelles technologies la vente par lot constitue fréquemment une vente liée sous certaines conditions. Les nouvelles dispositions sur la vente par lot amèneront d’ailleurs à des changements en termes de e-commerce, puisqu’un choix devra être réservé au client d’acheter son ordinateur équipé ou non.
En cela le projet de loi sera fidèle à toute une série d’arrêt. Celui du 12 juillet 2012 notamment, rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation, avait rejeté la qualification de pratique commerciale déloyale pour une vente liée qui proposait un ordinateur équipé ou une version du même appareil sans logiciel d’exploitation. L’acheteur, n’ayant pas réussi à installer correctement son ordinateur, a recherché la responsabilité du constructeur. La Cour a rejeté sa demande au motif que le constructeur prévenait par avance qu’il ne pouvait garantir le succès de l’installation d’un logiciel d’exploitation libre dans la mesure où cela reste une opération délicate.
B - Des principes communautaires
C’est la directive européenne 2005/29/CE du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs qui est principalement visée par la nouvelle disposition. Celle-ci prévoit un régime assez stricte en considérant que la vente forcée, ou vente liée, de logiciels par l’intermédiaire de la vente de matériel informatique est « déloyale en toutes circonstances ». Malgré la possibilité de se décharger de leur responsabilité pour les constructeurs en précisant la difficulté technique d’installer un logiciel d’exploitation libre, comme dans l’arrêt du 12 juillet 2012, la directive rejette l’argument de l’unité fonctionnelle. Ce principe avancé par les constructeurs impose selon eux qu’un ordinateur fonctionne idéalement avec certains logiciels, ce que conteste l’Union.
La directive oriente vers des sanctions fortes de ces pratiques. En France, sous cette influence, la loi du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit a mis en place plusieurs sanctions. Des sanctions pénales sont ainsi encourues, se cumulant avec des sanctions civiles qui comprennent la nullité du contrat et le remboursement du consommateur.
CABINET D’AVOCATS Murielle-Isabelle CAHEN
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